La semaine dernière se tenait la grand-messe de la legaltech en France : les Rendez-vous des transformations du droit ! L’évènement incontournable pour l’innovation dans le droit s’est tenu les 26 et 27 novembre dernier, et a rassemblé plus de 4000 visiteurs et 80 exposants.
Prime Conseil y était, pour rencontrer des amis et partenaires tels que SmartPreuve, BirdsEye ou encore Luminance. L’occasion parfaite de (re)découvrir ce qui se fait de mieux en matière de logiciels et outils digitaux pour les contract managers.
A. Quelles réalités derrière les promesses de l’intelligence artificielle ?
Dès l’entrée, le ton est donné car les mots « IA », « AI » ou « Intelligence Artificielle » sont partout, sur tous les écrans, dans toutes les bouches. En jetant un rapide coup d’oeil au programme (cf. capture d’écran ci-dessous), il est difficile de passer à côté de la thématique du moment puisque toutes les conférences et tous les ateliers (ou presque) ont pour objet de vous abreuver d’IA !
En parcourant ce programme, on découvre que OpenLaw veut présenter le « nouveau normal », Autolex nous parle de « machines qui pourront bientôt négocier entre elles », Doctrine explique « comment prendre sereinement le virage de l’IA générative » , le buzzword du moment est même repris par le Ministère de la Justice qui présente son « outil intégrant de l’IA ».En bref, à la lecture de ce programme, puis en découvrant sur place les écrans, kakémonos et autres brochures marketing plein de promesses de gains de productivité, de contrat augmenté, d’obtention de super pouvoirs et plus généralement de transformation du quotidien, nous avions envie d’en savoir plus sur ces outils qui peuvent impacter le contract management d’aujourd’hui et de demain. Nous sommes donc allés voir de plus près ces éditeurs, afin d’en savoir plus, concrètement, sur ce que proposent ces logiciels.
Allons à l’essentiel : après nous être promenés dans les allées et avoir échangé avec de nombreux éditeurs, nos paires d’yeux aguerries sont quelque peu restées sur leur faim. En effet, si l’on a pu noter des progrès chez certains éditeurs qui vont désormais plus loin qu’une simple surcouche d’interface à OpenAI, MistralAI et consorts (avec une mention spéciale au LLM de Luminance), il reste évident que ces logiciels – bien que portant le nom de CLM – n’ont pas été pensés et développés pour la pratique du contract management, et ciblent principalement des directions juridiques. Editeurs de logiciels ont ainsi une proposition de valeur assez similaire, couvrant – selon les solutions – entre 10 et 25% du cycle de vie des contrats, c’est à dire la rédaction, quelques bribes de négociation, la mise en signature et l’archivage. Tous les aspects inhérents à l’analyse de risques et opportunités, les négociations complexes, la diffusion des informations clés (on ne parle pas ici des dates de prise d’effet…), le pilotage des échéances clés (idem, nous ne parlons pas des simples renouvellement mais des milestones essentiels), les claims, les déviations au contrat, etc. ne sont pas abordés par les éditeurs. Les échanges avec quelques uns d’entre eux nous confirment que ces projets ne sont pas dans la « roadmap » produit de la grande majorité des éditeurs.
Les promesses des éditeurs en matière de transformation par l’IA ne semblent donc concerner que les juristes, car d’un point de vue du contract manager, aucune de ces solutions ne permet une révolution, et encore moins de se doter de super-pouvoirs (alors que nous espérions naïvement sortir de cette conférence en sachant voler et en ayant acquis le don d’ubiquité). Nous sommes donc rentrés bredouilles de cet évènement, mais sur le trajet du retour n prenant du recul, on s’est aussi dit que pour voir le verre à moitie plein, la pérennité de notre métier semble pour l’instant loin d’être menacé par une IA toute puissante !
B. Innovation en contract management, aller au-delà de l’IA
Il serait cependant réducteur d’assimiler ce rendez-vous des transformations du droit à un sommet sur l’IA. En effet, au delà des thématiques liées à l’IA qui sont sous le feu des projecteurs, d’autres sujets très intéressants – notamment pour les contract managers que nous sommes – étaient également abordés dans le cadre de ces deux journées. Nous avons par exemple vu GinoLegalTech animer un atelier sur l’intégration de la RSE dans les contrats, et un autre sur le sujet de la donnée contractuelle, nous avons pu assister à un atelier qui aborde le sujet du pilotage de contrats complexes avec Scale Up Legal, ou encore entendu Deloitte aborder le sujet des CLM sous le prisme de la supply chain.
Autant de sujets qui touchent à la pratique quotidienne du contract management et sont susceptibles de créer des ponts entre directions juridiques et directions du contract management. En cela, même si le contract manager n’est pas la « cible » d’un évènement tel que ces rendez-vous des transformations du droit, ces RDV des transfo du droit (à défaut d’un évènement analogue dédié au contract management ?) méritent le détour, permettent d’échanger et partager des bonnes pratiques sur les sujets qui dont l’actualité d’aujourd’hui et de demain en matière de contract management (RSE, contract management des fournisseurs, ou encore language clair et communication).
Alors au fond, une question subsiste : qu’est-ce que l’innovation en matière de contract management ? Chez Prime Conseil, nous pensons que réduire l’innovation à l’IA et plus généralement aux outils digitaux est une erreur, et que selon le stade de maturité d’une organisation en la matière, l’innovation réside avant tout dans les équipes et les processus mis en place. En effet, l’innovation dépasse le simple fait de s’outiller chez tel ou tel éditeur, mais réside plutôt dans ce triptyque « people-process-technology » trop souvent négligé par les organisations.
C. Un bilan pas si mitigé
En achevant la rédaction de ces quelques lignes, nous avons réalisé que presque une année s’est écoulée entre notre premier billet sur l’intelligence artificielle en contract management et cet évènement. C’est certainement la raison pour laquelle nous sommes sortis de cet évènement avec des sentiments contradictoires, entre déception et espoir.
En effet, force est de constater qu’il y a eu très peu (pour ne pas dire pas) d’innovation en matière d’intelligence artificielle pour le contract management en 2024. Les fonctionnalités proposées et plus généralement les problématiques adressées par les éditeurs sont restées les mêmes (redlining, création de template, processus de validation et signature, etc.) et s’adressent aux juristes et non aux contract managers. A titre d’illustration, la phase post-signature du cycle de vie des contrats est totalement éludée (à l’exception du repository/bibliothèque de contrats qui présente un intérêt très limité) par les éditeurs. Le peu d’ambition et le manque d’attrait des acteurs du CLM pour le contract management est à la fois surprenant au regard du marché, mais également compréhensible au regard de sa complexité.
Mais d’un autre côté, pour voir le verre à moitié plein (et surtout achever cet article sur une note positive) nous avons parfois été agréablement surpris de voir certains modèles d’IA progresser en matière contractuelle, devenant plus fins, plus pertinents, avec des marges d’erreur et hallucinations moins importantes. Cela laisse à penser que ces outils pourront bientôt servir à autre chose que de faire du secrétariat juridique ou de l’administration de contrat.. et peut être un jour intéresser les contract managers !