La gestion des contrats dans des environnements complexes et incertains, que ce soit dans les secteurs de la construction, de l’énergie ou encore de l’agroalimentaire, nécessite une capacité d’anticipation et une maîtrise des risques. Parmi ces risques, il y a la fameuse force majeure. Événement imprévisible et irrésistible, elle peut sérieusement perturber l’exécution d’un contrat. Face à cette situation, le contract manager à un sérieux rôle à jouer pour minimiser ses impacts. Dans cet article, nous abordons les aspects essentiels pour gérer les cas de force majeure de manière proactive et efficace.
Qu’est-ce qu’un cas de force majeure
Tout d’abord, un petit rappel de ce qu’est la force majeure en droit français. L’article 1218 du Code civil définit la force majeure comme un événement échappant au contrôle d’une des parties, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, et qui empêche l’exécution de l’obligation. Autrement dit, il s’agit d’un événement qui, même avec toutes les précautions et mesures possibles, ne pourrait être anticipé ni surmonté.
La force majeure est définie par trois critères juridiques : imprévisibilité (l’événement ne pouvait être anticipé), irrésistibilité (ses conséquences ne pouvaient être évitées), et extériorité (l’événement est indépendant de la volonté de la partie l’invoquant).
Cela a notamment été le cas, lorsqu’en 2020, la pandémie de Covid-19 a entraîné des confinements mondiaux, de nombreux secteurs ont invoqué la force majeure. La qualification de la pandémie comme force majeure a permis à de nombreuses entreprises de suspendre temporairement leurs obligations sans être pénalisées. Cependant, il est plus que nécessaire de prévoir en amont une adaptation du contrat dans ce genre de cas.
Intégrer la force majeure dans le contrat
L’article 1218 du code civil n’est pas d’ordre public. Cela signifie que les parties à un contrat peuvent décider d’encadrer la force majeure, notamment s’agissant des événements considérés comme des cas de force majeure mais aussi des effets de celle-ci (suspension du contrat, résiliation, nouvelles négociations entre les parties, etc.). Il n’est donc pas rare qu’une clause encadrant contractuellement la force majeure soit prévue. Nous dressons ci-dessous quelques points d’attention à prendre en compte :
1.Liste des événements
Il est recommandé de dresser une liste non exhaustive des événements pouvant être qualifiés de force majeure, en incluant des exemples pertinents pour l’industrie concernée. Nous pouvons citer parmi ces évènements, les catastrophes naturelles, les crises sanitaires, les conflits armés, ou encore les décisions administratives (fermeture des frontières, restrictions).
Une clause ouverte peut aussi être envisagée. Elle laisse la possibilité à d’autres événements non spécifiquement mentionnés d’être qualifiés de force majeure.
2. Procédures de notification
Il est nécessaire de vérifier que la clause définisse un délai spécifique durant lequel la partie affectée doit informer l’autre de la survenance de l’événement. Ce délai est souvent de quelques jours après la survenance de la force majeure.
Il est également essentiel de détailler la forme de cette notification et d’y inclure des éléments comme la nature de l’événement, ses effets sur les obligations contractuelles, et sa durée estimée.
3. Suspension des obligations
Un autre point important consiste à déterminer les effets sur les obligations contractuelles : quelles sont les obligations suspendues ? Pendant combien de temps ? Que se passe-t-il si l’événement persiste au-delà d’une période prédéfinie ?
4. Résiliation en cas de force majeure prolongée
Dans certains cas, un événement de force majeure peut rendre impossible la poursuite du contrat même après la disparition de l’événement (ex. destruction d’un site). Il est recommandé de prévoir une possibilité de résiliation pour force majeure prolongée si l’événement dépasse un certain nombre de jours.
Une attention particulière doit être portée aux différences d’interprétation selon les législations des pays impliqués dans un contrat international. Un événement peut être considéré comme un cas de force majeure selon le droit et la jurisprudence français, mais pas nécessairement dans un autre état.
Quels réflexes adopter en cas de survenance d’un cas de force majeure ?
La première réaction d’une entreprise confrontée à un événement de force majeure doit être d’évaluer rapidement les impacts sur le projet en cours. Nous présentons quelques actions pour lesquelles le contract manager peut être moteur :
1.Réflexes internes
- Mise en place d’une cellule de crise : le point de départ sera pour le contract manager en collaboration avec notamment le chef de projet d’identifier les parties prenantes clés (responsables de projet, acheteurs, juristes, responsables des opérations, contract managers, etc.) qui permettront de définir un plan d’action immédiat.
- Évaluation des risques immédiats : il s’agit d’analyser les conséquences directes sur les opérations, les ressources humaines, et le budget. Identifiez les priorités immédiates, comme la sécurité des équipes, la gestion des ressources, ou la communication avec les partenaires.
- Analyse fine des impacts sur le chemin critique du projet : la force majeure peut affecter le chemin critique d’un projet, entraînant des retards sur les tâches clés, que le contract manager doit évaluer avec les équipes pour réorganiser un planning adapté. Elle engendre également des surcoûts liés aux arrêts de production, redémarrages, et pénalités potentielles, que le contract manager doit anticiper en vérifiant les clauses contractuelles sur la suspension des pénalités et la prise en charge de ces surcoûts. Une gestion proactive permet ainsi de minimiser les impacts sur le projet et les finances.
2. Avec le cocontractant
- Notification formelle : Il est crucial d’informer le cocontractant dans les délais fixés par le contrat. Cette notification doit être détaillée et documentée pour éviter toute contestation ultérieure.
- Collaboration : il sera nécessaire d’engager un dialogue constructif avec le cocontractant pour trouver des solutions alternatives (réorganisation des délais, modification des livraisons, etc.).
- Maintien de la documentation : l’archivage de tous les échanges, les courriers, et les rapports est une étape à ne surtout pas négliger en cas de litige ou de renégociation future.
3. Avec le client
- Transparence : cela implique d’informer le client rapidement en expliquant de manière détaillée les impacts de la force majeure sur le projet
- Propositions d’alternatives : Si cela est possible, il sera rassurant pour le client que des ajustements de calendrier ou des solutions temporaires pour atténuer l’impact de la force majeure lui soient présentées.
- Communication régulière : enfin, une communication régulière est nécessaire pour tenir le client informé tout au long de la période affectée par l’événement.
Conclusion
Pour un contract manager, la force majeure n’est pas seulement une question de conformité juridique, c’est aussi un défi opérationnel qui nécessite anticipation, réactivité et collaboration. En rédigeant des clauses contractuelles adaptées, en réagissant rapidement face aux événements imprévisibles, et en analysant soigneusement les impacts, un contract manager peut mettre en oeuvre les actions pour atténuer les conséquences de ces événements sur le projet et sur les relations contractuelles. Cette capacité de gestion proactive est un atout majeur pour toute organisation.