Dans la conduite des projets complexes, la gestion des claims (ou « claim management ») est inéluctable et l’art de la négociation une compétence essentielle pour le contract manager. Parmi les différentes approches de négociation, la négociation intégrative, également connue sous le nom de négociation collaborative, se distingue par son approche qui vise à favoriser des solutions « gagnant-gagnant ». Dans cet article, nous voyons en quoi cette méthode est particulièrement bénéfique pour le contract manager dans le cadre de la gestion des claims.
A. Négociation distributive vs négociation intégrative
Lorsqu’il s’agit de gérer des claims ou toute situation conflictuelle dans des projets complexes, la négociation est un outil incontournable pour le contract manager.
Il existe plusieurs théories et types de négociation, chacun(e) ayant ses propres caractéristiques et avantages. Selon nous, les deux principales méthodes de négociation qui se détachent sont la négociation distributive et la négociation intégrative. Avant d’aller plus loin sur cette dernière, il peut être utile de rappeler ce qui les distingue.
1. La négociation distributive
Tout d’abord, la négociation distributive, souvent appelée négociation compétitive ou « win-lose », est celle où les parties cherchent à obtenir le meilleur résultat possible pour elles-mêmes au détriment de l’autre.
Dans ce type de négociation, généralement guidée par le contexte et les enjeux, les concessions sont minimisées et les gains sont maximisés. Elle est basée sur l’idée que les intérêts des parties sont en conflit et qu’il est impossible de parvenir à un accord mutuellement bénéfique. Les négociateurs vont dans cette configuration adopter des comportements semblables à de la compétition ou de l’affrontement. ce qui peut souvent conduire à des tensions et des relations détériorées.
A contrario, en cas de réussite pour la partie « gagnante », la négociation distributive peut aider dans l’atteinte des résultats souhaités rapidement et efficacement, sans perdre de temps ou de ressources à la recherche d’alternatives ou d’effectuer la concession que l’on considèrera comme l’effort de trop.
2. La négociation intégrative
La négociation intégrative (« win-win ») vise, quant à elle et par opposition à la négociation distributive, à trouver une solution bénéfique pour toutes les parties impliquées. Plutôt que de se concentrer sur la répartition des gains, la négociation intégrative cherche à augmenter la valeur pour toutes les parties, en explorant les intérêts sous-jacents et en trouvant des solutions créatives.
Elle implique pour les négociateurs de l’ouverture et l’établissement d’un climat de confiance. En effet, ils doivent coopérer tout au long du processus de négociation, afin d’avoir la même lecture de la situation, du contrat et/ou de construire ensemble l’accord final qui profitera à toutes les parties.
Cette technique de négociation aura ses limites si le cocontractant ne suit pas les mêmes objectifs et ne se trouve pas dans le même état d’esprit.
B. La négociation intégrative : la clé du claim management ?
La négociation intégrative vise à comprendre les besoins et les intérêts de chacun pour parvenir à une solution mutuellement bénéfique. Ce type de négociation nécessite une approche proactive et un engagement à long terme pour maintenir des relations positives.
1. Les principes de la négociation intégrative
La négociation intégrative est guidée par plusieurs principes clés :
- Communication ouverte et collaboration : encourager un dialogue transparent où chaque partie partage ses véritables préoccupations, contraintes et attentes afin de trouver des solutions mutuellement satisfaisantes. Il est également indispensable d’établir un climat de confiance et de respect mutuel pour faciliter la coopération.
- Compréhension des intérêts : identifier les intérêts sous-jacents et besoins de chaque partie plutôt que de se concentrer sur les positions rigides.
- Critères objectifs : la négociation s’appuie souvent sur des critères objectifs pour évaluer l’équité et la validité des solutions proposées.
- Créativité et flexibilité : être prêt à explorer plusieurs options et alternatives et à faire des compromis. La négociation intégrative permet flexibilité et adaptabilité dans le processus de négociation.
Dans la pratique si nous imaginons un claim dans le cadre d’un projet industriel où un fournisseur de matériaux accuse des retards de livraison, impactant ainsi le calendrier. Plutôt que d’entrer dans un conflit direct (négociation distributive) où chacun va tenter de minimiser sa responsabilité, les contract managers peuvent travailler ensemble pour comprendre les causes du retard, identifier des solutions pour accélérer les travaux, et peut-être même partager les coûts supplémentaires de manière équitable. Ensemble, ils pourraient trouver des solutions telles que la réorganisation des livraisons, l’optimisation des processus de production, ou encore la mise en œuvre de plans de contingence pour minimiser l’impact des retards.
2. Mise en œuvre de la négociation intégrative
Pour le contract manager, la mise en œuvre de la négociation intégrative nécessite une préparation minutieuse et une stratégie bien définie afin de ne pas se heurter à une forte résistance dès le départ en interne comme du côté du cocontractant.
- Préparation : cela commence par une compréhension approfondie des besoins, intérêts et priorités de toutes les parties impliquées. Cela implique de recueillir des informations pertinentes et d’analyser les points de vue de chaque partie et d’évangéliser les équipes sur cette approche « win-win ».
- Etablissement de la confiance : ensuite, il est crucial au cours de la négociation, comme nous l’avons vu précédemment, d’établir un environnement de négociation basé sur la transparence et le respect, favorisant ainsi la confiance mutuelle.
- Communication : une communication efficace est indispensable pour clarifier les attentes et résoudre les malentendus. Les parties devront faire preuve de respect et d’empathie, d’écoute active et exprimer clairement leurs intérêts et besoins.
- Recherche et proposition de solutions : il est nécessaire d’identifier des options créatrices de valeurs pour tous, comme des échéanciers flexibles ou des compensations alternatives et les solutions de rechanges afin de parvenir à un accord équilibré. La flexibilité et l’adaptabilité sont essentielles pour ajuster les propositions en fonction des intérêts communs.
- Documentation : une fois l’accord trouvé et afin de poursuivre cette démarche de clarté, il sera utile de résumer les points clés de l’accord, le documenter par écrit, préciser les rôles et les responsabilités pour la mise en œuvre.
3. Quels avantages les parties peuvent-elles en tirer ?
Outre le déblocage de la situation objet du claim dans de bonnes conditions, c’est aussi dans la durée que les effets de cette méthode se feront ressentir :
- Pérennité des relations commerciales : l’un des principaux avantages du recours à la négociation intégrative dans la gestion des claims est la pérennité des relations commerciales. Elle favorise, à l’issue du processus, des relations solides, cruciales pour les projets à long terme et ce dans la mesure où elles facilitent la coopération continue et permettent de résoudre rapidement les éventuels futurs litiges.
- Amélioration de la profitabilité du contrat : un des aspects recherchés par cette méthode de négociation est de favoriser la rentabilité globale du projet et du contrat. En trouvant des solutions créatives et mutuellement bénéfiques, il est possible, in fine, de réduire les coûts, optimiser les ressources et minimiser les interruptions.
- Efficacité opérationnelle : en créant un climat de coopération et de communication transparente, la négociation intégrative peut améliorer l’efficacité opérationnelle. Les solutions générées par le modèle de négociation intégrative sont souvent plus créatives, innovantes et efficaces que celles initialement prévues. Les deux parties peuvent également se sentir plus investies et impliquées dans les solutions, et plus disposées et motivées à les mettre en œuvre. Cela conduit, en général, à une meilleure coordination entre elles et à productivité plus qualitative.
- Réduction des litiges : cette stratégie réduit enfin les conflits entre les différents acteurs. Elle instaure pour la suite de bonnes pratiques où chaque décision est prise dans un climat de confiance et après un processus d’échanges, de discussions, de concessions réciproques et de contre-propositions de la part de chaque partie.
Conclusion
Considérer la perception de l’autre et comprendre ses préoccupations requiert une bonne dose de volonté. La coopération va au-delà d’une simple attitude, elle est une démarche concrète qui demandera au contract manager davantage d’énergie et d’investissement. Toutefois, la négociation intégrative lui permettra de disposer de sérieuses cartes afin de préserver la relation commerciale et de renforcer la volonté de respecter les accords établis. Il est essentiel de savoir établir des conditions gagnantes, d’éviter les pièges qui pourraient menacer cette collaboration et de montrer à l’autre partie que la coopération est non seulement possible mais aussi souhaitée.
Pour aller plus loin sur ce sujet ainsi que d’autres méthodes de négociation, nous pouvons recommander, parmi les nombreuses littératures de qualité existante, la lecture de l’ouvrage de Laurent Combalbert et Marwan Mery « Negociator », qui aborde de manière très pratique et opérationnelle différentes techniques de négociation.