Dans un environnement économique de plus en plus incertain (nous en parlions dans notre dernier article), les entreprises cherchent en permanence des leviers pour sécuriser et améliorer la rentabilité de leurs projets. Parmi ces leviers figure une discipline encore méconnue, facteur clé de rentabilité des projets : le contract management.
Une étude de référence réalisée par le World Commerce and Contracting (ex IACCM) indique qu’une mauvaise gestion des contrats peut entraîner une perte allant jusqu’à 9 % du chiffre d’affaires annuel. À l’inverse, un contract management efficace peut transformer un projet moyen en réussite financière. Comment ? C’est ce que nous allons voir dans cet article.
I. Qu’est-ce que le contract management dans un projet ?
Si nous avons, dans cet article, défini ce qu’est le contract management, son application dans le cadre des projets nécessite quelques explications sur le rôle et l’apport de la discipline dans le cadre de l’exécution d’un projet.
a. Piloter le contrat tout au long de son cycle de vie
Le contract management ne se résume pas à signer un document et à le ranger dans un tiroir. Il s’agit d’un processus continu, qui démarre en amont du projet (négociation, structuration du contrat), se poursuit pendant l’exécution (suivi des obligations, gestion des changements) et se termine à la clôture (bilan, archivage, leçons apprises).
Tout au long du cycle de vie du contrat, une attention doit être porté au suivi des droits et obligations qui y figurent, afin d’optimiser chacune des phases, toutes aussi importantes.
b. La différence entre gestion administrative et pilotage stratégique
Trop souvent, la gestion contractuelle en phase d’exécution des projets est réduite à une fonction administrative (d’où le fait de privilégier le terme anglo-saxon « contract management », qui évoque une fonction plus stratégique et exhaustive que le « pilotage de contrat »). On voit ainsi parfois des acteurs du projet penser faire du contract management en compilant des DC4 ou dossiers de déclaration de sous-traitance, ou encore en faisant des relances lors d’échéances de facturation.
La réalité est bien plus riche (et complexe), puisqu’elle comprend de nombreuses actions (rédaction, négociation, suivi de performance, identification de risques et opportunités, etc.). De facto, la gestion de contrat est non seulement une activité distincte de la gestion de projet, mais en plus cette gestion – lorsqu’elle est faite de façon professionnelle – est un véritable levier de performance qui permet entre autres de sécuriser les marges, d’éviter les litiges, et d’aligner les parties prenantes autour d’objectifs communs.
c. Une fonction transverse au service de la performance
Vous l’aurez noté, nous n’avons pas parlé de fonction « support » dans ce sous-titre, mais bien de fonction transverse. Une notion de transversalité qui correspond bien plus au contract management qui est un métier d’interface avec de nombreuses autres fonctions : juridique, achats, finances, projets, qualité, etc.
Cette transversalité est un levier puissant de cohérence et d’anticipation, souligne la fonction d’interface qu’occupe le contract manager ainsi que la dimension de fluidité, de transparence et de maîtrise des risques de la discipline.
II. Trois dimensions pour impacter la profitabilité des projets
Vous l’aurez certainement remarqué, la « profitabilité des projets » c’est notre crédo chez Prime Conseil (on en a même fait notre slogan). Cette vision ROIste du contract management peut s’exprimer et se matérialiser sous différents angles, et principalement :
a. Eviter/limiter les pertes financières
L’un des effets les plus directs d’un bon contract management est la réduction (ou la limitation) des pertes. En effet, qu’il s’agisse d’échéances non respectées, de délais de réclamation expirés, de pénalités non négociées auprès des clients, ou non appliquées aux fournisseurs, la liste peut être très longue… et chaque manquement contractuel coûte cher.
Dans le domaine des grands projets par exemple, la mauvaise gestion des variations, change orders ou des EoT peut représenter plusieurs dizaines ou centaines de millions d’euros de pertes.. sur un seul et même projet ! Dans le secteur construction, près de deux tiers des claims sont rejetés en raison de vices de forme, oublis, délais. Un exemple pour illustrer qu’une gestion proactive des contrats permet de limiter les pertes financières sur projet.
b. Sécuriser des revenus additionnels
La vision française et plus généralement européenne du contract management accorde une place importante à la défense d’intérêt et au pilotage du risque, en négligeant parfois la dimension opportuniste du contract management (que nos homologues anglo-saxons ont quant à eux bien saisie !).
Les contrats regorgent en général de leviers d’opportunité : primes de performance, indexations de prix, options de renouvellement avantageuses, remises sur volumes, mais aussi approximations rédactionnelles sur les travaux supplémentaires, causes d’exonération, etc. Une pratique professionnelle du contract management permet d’identifier et de mobiliser ces clauses contractuelles à son avantage.
Cela permet aussi d’éviter ce que l’on appelle le revenue leakage (objet de l’étude du World Commerce & Contracting mentionnée en préambule, c’est-à-dire la perte de chiffre d’affaires dû à une mauvaise exécution ou à une absence de suivi des obligations contractuelles.
c. Réduire les coûts internes et la charge mentale des chefs de projet
Enfin, dernier levier trop souvent passé sous silence : un contrat bien construit et bien suivi, c’est aussi moins de litiges, moins de rework, moins de stress pour les équipes, et notamment les chefs de projet ! Cela réduit les coûts cachés (temps passé à chercher une clause, à gérer un conflit, à compenser un oubli) et augmente la fluidité des échanges internes dans l’exécution projets.
III. Quelques bonnes pratiques pour faire du contract management un levier de rentabilité
Nous avons parlé dans les chapitres ci-dessus des rôles et responsabilités du contract manager en phase projet (I), puis de l’impact du contract management sur la profitabilité. Ne reste qu’à rentrer dans le détail et voir comment, en pratique, mettre en place un contract management au service de la rentabilité des projets.
Cette pratique opérationnelle du contract management exige une organisation, des méthodes claires, et une culture commune autour du contrat comme instrument de performance. Voici quatre bonnes pratiques concrètes qui permettent de transformer la gestion contractuelle en véritable levier de profitabilité.
a. Mettre en place des outils, méthodes et référentiels
L’un des premiers obstacles à une gestion contractuelle efficace est le manque de centralisation. Selon un article de ContractWorks, 71 % des entreprises sont incapables de retrouver au moins 10 % de leurs contrats. En résultent de nombreuses conséquences préjudiciables aux projets telles que : oublis d’échéances, pertes d’information, opportunités non exploitées, voire invalidité juridique de certains engagements.
La mise en place de référentiels et outils harmonisés, qu’ils s’agissent d’outils « simples » comme des fichiers Excel, jusqu’à la mise en place d’une GED ou d’un logiciel de Contract Lifecycle Management (CLM), permet de :
- fiabiliser l’accès à l’information pour toutes les parties prenantes (juridique, achats, projets, finance)
- sécuriser la traçabilité des versions, avenants et signatures
- préparer l’automatisation du suivi des échéances, alertes et obligations
Pour illustrer cela, dans une étude intitulé : « Contract Management as a Tool for Successful Project Performance: A Pragmatic Study on Construction Projects in Zambia » menée en 2024 sur des projets de construction, les sociétés consultées identifient la centralisation de l’information contractuelle comme un facteur essentiel pour améliorer la performance du projet et limiter les conflits.
b. Définir des indicateurs de performance (KPI / OKR) contractuels
Comme tout processus stratégique, le contract management doit être piloté par des indicateurs clairs. Trop souvent, les entreprises mesurent les performances fournisseurs/client ou projets sans intégrer les KPIs contractuels, pourtant cruciaux pour suivre la bonne exécution du contrat.
Des KPIs contractuels pertinents peuvent par exemple être :
- Le respect des délais contractuels (livrables, paiement, validations),
- Le taux d’acceptation/rejet des claims formulés (y compris les raisons en cas de rejet),
- L’évolution des non-conformités,
- Le taux de claims (retards, non-conformités, etc.) qui ont été alloués à la supply chain,
- La ponctualité dans la remise de livrables,
- Etc.
Comme pour le point précédent, pour illustrer ceci avec des études, on peut citer une étude de 2023 intitulée : « Impact of Contract Management on Contractor’s Profit », ainsi qu’un rapport du Ministère de la justice britannique soulignent que l’absence d’indicateurs clairs peut provoquer des marges réduites, une mauvaise allocation des ressources et un risque de rupture de la chaîne de valeur.
c. Renforcer le pilotage post-signature
C’est l’un des constats les plus partagés, que ce soit dans la littérature ou sur le terrain : la plupart des organisations concentrent leurs efforts contractuels sur la phase de négociation et de signature, mais négligent l’étape cruciale du suivi post-signature. C’est bien dommage, car la phase d’exécution est pourtant celle au cours de laquelle le P&L d’un projet se joue.
En règle générale, on constate en effet que la phase pré-contractuelle est (dans les grandes lignes) plutôt bien maîtrisée jusqu’à la signature, avec d’une part l’intervention de nombreux acteurs (juristes, acheteurs, financiers, commerciaux, cellules d’avant-vente, etc.) et d’autre part des outils et processus robustes (grilles de GO/NO-GO, comités d’engagement, etc.) qui permettent d’avoir une vue relativement globale et pertinente des risques et opportunités d’un contrat au stade de sa signature.
Le hic c’est qu’une fois le contrat signé, les ressources, outils et méthodes en matière de suivi de contrat deviennent beaucoup plus sommaires. L’étape d’exécution (post-award) est souvent lacunaire, avec peu de suivi des engagements, des KPIs faiblement utilisés, et une faible mobilisation des équipes contractuelles. Comme vu précédemment, cela mène à des retards, des surcoûts, voire à des abandons de projets.
Affecter des ressources (et donc des moyens..) à cette phase de pilotage post signature est la garantie d’éviter ce que l’on a précedemment appelé le « revenue leakage », que ce soit en appliquant/évitant les pénalités ou bonus prévus, et plus généralement en anticipant et en traitant les risques en cours de projet. Nous le savons, affecter des moyens est souvent un sujet critique au sein des organisations, mais la bonne pratique est de s’y mettre, y compris petit à petit, et de mesurer le ROI de ce pilotage qui devrait très rapidement faire comprendre aux directions générales que le contract management est une discipline rentable !
d. Améliorer la culture contractuelle interne
Un contrat bien négocié et bien rédigé n’a de valeur que s’il est compris et utilisé par les personnes qui le mettent en œuvre. Trop souvent, les opérationnels n’ont qu’une connaissance partielle des engagements pris, ce qui fragilise la phase d’exécution. Ce n’est pas seulement parce que vous avez appliqué la recommandation (c) ci-dessus que la magie du contract management va opérer, pour que le contract manager puisse exercer sa mission, il est indispensable que les interlocuteurs projet travaillant avec lui (chefs de projet, planificateurs, acheteurs, etc.) soient sensibilisés aux fondamentaux du contract management pour :
- savoir lire et interpréter les principales clauses d’un contrat,
- identifier les obligations clés et les risques majeures pour solliciter le contract manager au bon moment,
- documenter les actions contractuelles (changements, litiges, notifications),
- adopter une posture proactive vis-à-vis des parties prenantes du contrat.
Il existe pour cela de nombreuses formations en contract management, mais au delà de ces organismes, votre contract manager doit savoir commencer les sensibilisations auprès des équipes, notamment au travers de la contract awareness.
Conclusion
Le contract management n’est ni un luxe, ni une fonction accessoire réservée aux grands groupes du CAC40 : c’est un véritable levier stratégique de performance et de profitabilité. À l’heure où les marges se resserrent, où les projets deviennent de plus en plus complexes et où les partenaires se multiplient, savoir maîtriser l’exécution des engagements contractuels est une compétence vitale pour toute organisation.
Comme nous l’avons vu tout au long de cet article, un contract management bien structuré permet :
- d’éviter les pertes financières évitables (litiges, pénalités, reconductions tacites)
- de sécuriser la valeur contractuelle prévue au moment de la signature
- de réduire les coûts liés aux inefficiences internes
- et d’améliorer la qualité des relations contractuelles, en instaurant un cadre clair et partagé
Toutes les études et retours d’expérience convergent : qu’il s’agisse de projets publics en Afrique, de multinationales françaises du BTP ou d’industries technologiques américaines, les organisations qui maîtrisent leur gestion contractuelle constatent un gain net sur leurs résultats opérationnels et financiers.
Pourtant, en France, cette discipline reste encore trop peu diffusée au sein des entreprises et des administrations. Trop souvent cantonnée au juridique ou aux achats, elle n’est pas intégrée comme un outil de pilotage transversal, ni enseignée comme une compétence de base dans les cursus liés à la gestion de projet, à la finance ou à la performance opérationnelle.
Il est temps d’opérer un changement culturel. Le contract management doit être massivement déployé dans les organisations hexagonales, à travers :
- des formations adaptées aux non-juristes
- la création de référentiels et de processus communs
- l’outillage progressif des fonctions opérationnelles
- et surtout une implication des directions générales, conscientes que chaque contrat bien géré est un maillon solide de la chaîne de valeur.
Le contract management est, par nature, une discipline ROIste : chaque euro investi dans une démarche contractuelle structurée peut générer plusieurs euros en économies, en sécurisation de revenus, ou en évitement de litiges.
Adopter le contract management, ce n’est pas simplement mieux gérer ses documents. C’est mieux piloter ses projets, mieux collaborer, et mieux réussir. C’est, tout simplement, faire de chaque engagement contractuel un actif stratégique au service de la rentabilité.