Si elle peut sembler triviale à première vue, cette question de la véritable utilité d’un NDA mérite d’être posée. En effet, en prenant du recul sur de longues années de pratique professionnelle, mais aussi en interrogeant des avocats, des juristes, des chefs d’entreprises ou encore des pairs, le constat est unanime : aucune des personnes contactés n’a jamais fait face à un litige portant principalement sur un NDA ! Comment alors expliquer que, dans le monde entier, les entreprises déploient autant d’énergie (selon une étude, 63% des contrats revus aux USA sont des NDA, alors qu’ils ne contribuent qu’à 7% des revenus) pour couvrir un risque dont la probabilité d’occurence est… extrêmement faible ?
Après avoir introduit les principaux points de vigilance dans les NDA, nous proposons ainsi dans cet article de fournir un éclairage pratique sur la véritable utilité d’un NDA, les cas dans lesquels il est réellement pertinent d’en mettre en place, les cas dans lesquels les entreprises pourraient s’en passer, ainsi que quelques astuces pratiques pour simplifier et accélérer le processus de mise en place d’un accord de confidentialité qui peut parfois ressembler au parcours du combattant !
I. Les origines du NDA
Commençons par le commencement.. Le NDA, tout le monde parle mais qui sait vraiment d’où il vient ?
Mauvaise nouvelle, il existe assez peu d’écrits sur la naissance des accords de non-divulgation (ou NDA), et aucune grande figure du droit n’y est associée (tel que par exemple Portalis pour notre Code civil). Il est néanmoins possible de trouver trace de quelques écrits traitant de la naissance et de l’évolution du NDA. On retrouve par exemple quelques lignes intéressantes dans un article qui s’intitule Contracts of Silence publié dans la Columbia Journalism Review. Selon cet article, les premières mentions de NDAs remonteraient aux années 1940, dans le contexte particulier : celui du droit maritime… aux États-Unis. En effet, comme beaucoup d’outils et concepts en droit des contrats, le NDA nous vient d’outre-Atlantique. À cette époque, le sujet de la confidentialité était déjà important, et les tribunaux américains avaient eu l’occasion de valider l’utilisation de clauses de non-divulgation pour les amiraux, notamment pour garantir la confidentialité des informations recueillies lors des interrogatoires !
Puis, les NDAs ont progressivement investi d’autres domaines d’activité, à partir des années 1980, dans le sillage de l’essor des entreprises de haute technologie. On retrouve ainsi, toujours aux Etats Unis, des sociétés telles qu’IBM qui ont fait partie des premières à recourir massivement aux NDAs pour protéger leurs secrets commerciaux, algorithmes propriétaires et innovations, dans un contexte où la confidentialité représentait un atout stratégique majeur. Le NDA s’est ensuite, à la vitesse d’internet, rapidement propagé pour occuper la place que nous lui connaissons aujourd’hui : celle d’outil basique de toute relation d’affaires.
Cette petite introduction sur les origines des NDAs nous rappelle ainsi que ce NDA a vu le jour avec un objectif assez clair celui de protéger des informations stratégiques, tout d’abord sur le plan militaire, puis dans des secteurs innovants à forte concurrence. Il est ensuite devenu extrêmement courant, mis en place avant des réunions ou autres échanges informels au cours desquels les seules informations confidentielles partagées se limitent parfois au code du wifi invité.. Bref, le réflexe NDA – à l’origine vertueux – devient par moments un véritable symbole de la bureaucratie.
L’objectif de cet article n’étant pas de tirer à boulet rouge sur le NDA, nous proposons d’enchaîner avec une section qui parle des bonnes raisons de mettre en place un NDA ! En effet, le NDA présente des vertus non négligeables, lorsqu’utilisé à bon escient !
II. Quelques bonnes raisons de mettre en place un NDA
Avoir un regard critique ne signifie pas pour autant fermer les yeux sur les raisons pour lesquelles il est parfois essentiel de signer un NDA. Nous avons, pour les besoins de cette section, listé trois bonnes raisons de conclure un accord de confidentialité :
A. Pour protéger son patrimoine
Protéger son patrimoine ne signifie pas uniquement sauvegarder des actifs physiques ou financiers ; il s’agit également de protéger les informations stratégiques et sensibles qui constituent la valeur immatérielle d’une entreprise. En effet, certaines informations précieuses – comme le savoir-faire unique, les secrets de fabrication, ou encore des procédés spécifiques – ne bénéficient pas encore d’une couverture légale particulière. Dans ce contexte, un NDA se révèle un outil essentiel pour garantir la confidentialité de ces éléments, notamment lors des phases de pourparlers ou d’échanges pré-contractuels.
Lorsque des discussions préliminaires sont entamées avec des partenaires, fournisseurs ou clients potentiels, il est souvent nécessaire de partager des données confidentielles. Ces informations peuvent inclure des éléments de stratégie de développement, des données commerciales sensibles ou encore des informations financières internes. Sans NDA, l’entreprise court le risque que ces informations, une fois divulguées, soient utilisées ou partagées à son insu, mettant en péril ses intérêts.
Un accord de confidentialité peut ainsi permettre de protéger ce patrimoine en encadrant la diffusion et l’utilisation de ces informations. Il crée un cadre juridique dans lequel les parties s’engagent à ne pas divulguer ni exploiter à des fins personnelles ou commerciales les informations échangées, sous peine de sanctions.
B. Pour protéger la brevetabilité de ses inventions
Cette seconde raison, un peu moins connue, et néanmoins essentielle ! En effet, parmi les critères de brevetabilité d’une invention figure la nouveauté (voir l’Art. L.611-1 du code de la propriété intellectuelle). Pour que ce critère soit rempli, il faut ainsi que l’invention « ne doit pas porter sur une innovation qui a déjà été rendue accessible au public » selon l’INPI.
Or, il est très fréquent dans les phases amont du cycle de vie d’une invention que des échanges aient lieu avec des fournisseurs, des partenaires, des clients et autres tiers, notamment en vue de vérifier la faisabilité de l’innovation (permettant de valider un autre critère, celui de l’application industrielle). Ces échanges, s’ils ne sont pas encadrés par un NDA, sont susceptibles de constituer des divulgations au public, et donc détruire ce critère pourtant indispensable à la brevetabilité d’une invention.
Parmi les illustrations les plus courantes de divulgation involontaire et non encadrée par un NDA, on citera notamment les conférences, présentations et autres symposiums scientifiques au cours desquels il est d’usage de prendre la parole et diffuser des présentations sur des dernières avancées ou innovations. Divulguer en ces circonstances une innovation n’ayant pas encore fait l’objet d’une demande de brevet, sans avoir pris la précaution de conclure un NDA sera alors fortement susceptible de nuire à la brevetabilité d’une innovation.
c. Pour initier une relation d’affaires
Le NDA est souvent le premier contrat signé entre des parties qui envisagent de collaborer, qu’il s’agisse de clients, de fournisseurs ou de partenaires potentiels. Sa simplicité en fait un document accessible pour encadrer les premiers échanges d’informations confidentielles. En mettant en place un NDA, on formalise ainsi le début d’une relation et on instaure les prémices d’une démarche plus structurée et officielle (sans pour autant préjuger de l’existence d’une relation future). Cela permet de montrer assez tôt du sérieux, et de l’envie d’explorer une potentielle future collaboration.
Cet accord de confidentialité peut également contribuer à instaurer un climat de confiance et de réassurance. En montrant que l’on prend au sérieux la protection des informations sensibles, on pose les bases d’une relation où le respect mutuel des intérêts est valorisé. Le NDA, en précisant les attentes et les obligations de chaque partie, devient un outil facilitant les échanges et encourageant l’ouverture, tout en limitant les risques de fuites d’informations. Il invite à des discussions ouvertes tout en protégeant le cadre confidentiel des échanges.
Attention toutefois à ne pas transformer le NDA en obstacle ! Un NDA trop long, complexe, ou rempli de clauses unilatérales et/ou excessivement techniques peut produire l’effet inverse. Si la négociation de cet accord s’avère longue et pénible, le partenaire pourrait percevoir cette démarche comme un avant-goût des processus internes de l’entreprise, avec une bureaucratie qui freine la fluidité des échanges. Il est donc essentiel de veiller à ce que le NDA reste concis et pertinent, favorisant l’initiation d’une collaboration plutôt que de créer des barrières dès les premiers contacts.
III. Pourquoi le NDA à tout va est une fausse bonne idée
a. La protection a minima du droit commun
La loi protège déjà, sans qu’un NDA ne soit nécessaire, l’échange d’informations relevant du secret des affaires. En France, par exemple, le Code de commerce (articles L.151-1 et suivants) prévoit des dispositions spécifiques pour protéger les informations sensibles qualifiées de secrets d’affaires. Cela signifie que dès lors qu’une information est identifiée comme étant stratégique ou précieuse pour l’entreprise, elle bénéficie d’une protection légale qui interdit toute divulgation ou utilisation abusive, même sans NDA en place.
On retrouve des dispositions analogues en matière de droit du travail, puisque les obligations de discrétion et de loyauté s’appliquent aux salariés, limitant la diffusion d’informations internes à l’entreprise. Cette obligation de loyauté implique qu’un employé ne peut pas partager ni utiliser des informations confidentielles obtenues dans le cadre de son travail, même en l’absence d’un NDA. C’est une protection importante qui vient compléter le cadre juridique et démontre que la confidentialité est une exigence inhérente à la relation de travail.
Enfin, pour revenir aux affaires, le Code civil ajoute une protection supplémentaire en engageant la responsabilité de toute personne qui utiliserait ou divulguerait sans autorisation des informations confidentielles obtenues lors de négociations précontractuelles. Cette règle générale de responsabilité civile assure une couverture minimale pour les entreprises et les individus lors de leurs échanges.
En somme, bien que le NDA puisse renforcer la protection de certaines informations, il est important de noter que le droit commun offre déjà un cadre de protection suffisant dans de nombreux cas, en particulier pour les informations identifiées clairement comme confidentielles ou relevant du secret des affaires. Le NDA n’est donc pas à utiliser à tout va, mais plutôt à mobiliser une fois que l’on s’est posé les bonnes questions sur le « pourquoi » de sa mise en place.
b. La signature d’un papier… avant le laisser-aller
Dans de nombreuses organisations, la mise en place d’un NDA est souvent un processus lourd et fastidieux, impliquant des règles et des étapes de négociation parfois très bureaucratiques. Ce processus peut être source de frustration pour les collaborateurs, d’autant plus que, dans bien des cas, une fois signé, le NDA finit par disparaître dans un tiroir, un cloud ou quelque autre archive numérique, sans que personne n’y fasse plus attention. Les clauses du document, pourtant soigneusement négociées, sont alors oubliées et rarement, voire jamais, consultées en cas de doute ou de besoin.
En pratique, dès que le NDA est signé, on observe souvent un laxisme dans le traitement des informations confidentielles. Des données sensibles, voire classifiées, se mettent à circuler sans cadre spécifique : elles ne sont ni identifiées ni suivies de manière stricte. Elles passent parfois entre de multiples mains sans qu’aucune précaution ne soit prise pour garantir leur traçabilité ou leur intégrité. Ce laisser-aller après la signature du NDA est en réalité contre-productif. Pour protéger efficacement des informations sensibles, il ne suffit pas de s’en remettre à quelques pages de clauses juridiques.
Chez Prime Conseil, nous pensons qu’il est essentiel de concentrer les efforts sur la mise en place d’une protection active des informations sensibles. Plutôt que de se reposer sur le simple fait de signer un NDA, une vraie protection implique de limiter les accès aux informations, de les marquer clairement comme confidentielles et de ne les partager que lorsque cela est absolument nécessaire, en respectant le principe du “besoin d’en connaître”. Cela permet d’éviter que le NDA ne devienne un simple bout de papier sans impact réel, et renforce la sécurité des informations au quotidien.
c. La redondance avec d’autres stipulations contractuelles
Dans de nombreux projets, il n’est pas rare de voir des NDA signés avec des dates d’effet rétroactives, immédiatement suivis par des contrats d’achat, de vente ou de partenariat qui contiennent eux aussi des clauses de confidentialité – souvent en tous points identiques à celles du NDA. Cette duplication des engagements de confidentialité ajoute une complexité inutile, où plusieurs documents contractuels répètent les mêmes stipulations à quelques jours d’intervalle.
Plutôt que d’appliquer mécaniquement des processus, il est pertinent de s’interroger sur la rationalisation de ces clauses. Si un NDA a été conclu pour sécuriser les premiers échanges d’informations sensibles, il peut devenir superflu une fois que le contrat principal entre en vigueur, car celui-ci inclut souvent déjà toutes les protections nécessaires. Reproduire les mêmes clauses de confidentialité dans chaque document contractuel ne renforce pas forcément la sécurité des informations ; au contraire, cela alourdit le processus sans ajout de valeur réelle.
En évitant cette redondance, les entreprises peuvent simplifier leurs démarches contractuelles et alléger les processus (ainsi que le contenu des contrats) pour se concentrer sur l’essentiel : une protection efficace et pertinente des informations. Rationaliser les clauses de confidentialité, plutôt que de multiplier les accords, permet non seulement de gagner en efficacité, mais aussi de clarifier les obligations de chaque partie, tout en réduisant les risques de confusion ou d’incohérence entre différents documents.
IV. Comment accélérer la mise en place des NDA
a. Arrêtez avec les NDA unilatéraux
Les NDA unilatéraux figurent parmi les pratiques les plus discutables en matière d’accords de confidentialité. Ils traduisent souvent une volonté maladroite de tirer parti d’une asymétrie de pouvoir, où une partie impose sa protection sans réciprocité. Pourtant, dans la grande majorité des cas, les deux parties échangent des informations confidentielles. Que ce soit pour évaluer des opportunités de partenariat, discuter de solutions techniques ou partager des projections financières, il est rare qu’une seule partie joue le rôle de divulgateur. Dès lors, opter pour un NDA unilatéral revient à s’infliger un modèle inadapté à la réalité des échanges.
Un NDA unilatéral, en ne protégeant que les informations d’une seule partie, peut même créer un climat de méfiance et refroidir l’engagement du cocontractant, qui pourrait percevoir cette approche comme un manque de considération. Cela va à l’encontre de l’objectif initial d’un NDA : protéger les échanges tout en instaurant un cadre de confiance.
À moins que des circonstances exceptionnelles ne justifient un NDA unilatéral, il est préférable de ranger ce modèle dans les archives et de le remplacer par un accord réciproque. En choisissant un NDA mutuel, vous faites preuve d’équité et de pragmatisme, encourageant une collaboration plus équilibrée et productive.
b. Rédigez vos contrats en format one pager et en language clair
Ces dernières années, les NDA ont eu une tendance fâcheuse à prendre de l’épaisseur, certains allant même jusqu’à une dizaine de pages générant désarroi auprès de nombreux acheteurs, commerciaux et même contract managers ! Pourtant, les objectifs fondamentaux de ces accords restent simples : protéger les informations sensibles échangées. Alors pourquoi tant de complexité ? En réalité, avec un peu d’ingéniosité et de rationalisation, un NDA peut tenir sur une feuille recto verso, tout en restant efficace et complet – un défi que nous avons déjà relevé.
La clé réside dans un langage clair et accessible, qui facilite la lecture et la compréhension pour toutes les parties concernées. Un NDA concis, formulé en termes simples, limite les allers-retours de validation et réduit les blocages liés à des formulations techniques et juridiques lourdes. En adoptant un format one pager, on obtient un document facile à lire, à approuver, et surtout à comprendre. Cette approche permet de transformer ce qui est souvent perçu comme une corvée administrative en une simple formalité, rendant le processus de mise en place du NDA plus rapide et agréable pour chaque partie prenante.
c. Utilisez des modèles universels
Au lieu de réinventer la roue avec chaque NDA, pourquoi ne pas adopter un modèle adopté par un grand nombre d’organisations ? Des initiatives comme OneNDA, lancée en 2020 et soutenue par plus de 1 000 organisations, montrent l’efficacité de cette approche. Avec des grands noms tels que Coca-Cola, Google, UBS, Cazoo et Diageo parmi ses soutiens, OneNDA propose un standard simple et largement accepté pour les accords de confidentialité. Repris depuis par LawInsider, ce modèle offre un NDA épuré et efficace, bénéficiant de la validation d’une large communauté d’acteurs, ce qui renforce sa légitimité et son acceptabilité.
L’adoption de standards comme OneNDA permet de simplifier le processus de mise en place d’un NDA en réduisant significativement le temps de négociation et de validation. Ce modèle standardisé, en plus d’être clair et concis, réduit les zones de friction qui ralentissent souvent la signature d’un NDA classique. Profiter de cette avancée permet non seulement d’accélérer le processus, mais aussi de s’appuyer sur un accord reconnu par de grandes organisations, renforçant ainsi la confiance des parties dès les premiers échanges.
d. Etablissez un cadre avec vos partenaires récurrents
Chez tous nos clients, on pourrait facilement établir un “top 10” – puis élargir à un “top 30” – de clients, fournisseurs et partenaires avec lesquels il existe un courant d’affaires important et récurrent. Pourtant, dans la majorité des cas, chaque nouveau projet ou sujet avec ces partenaires entraîne la mise en place d’un nouveau NDA. Dans le meilleur des cas, quelqu’un s’inspire d’un NDA négocié précédemment, mais nous voyons rarement des démarches de standardisation de ces relations contractuelles avec des partenaires réguliers.
Pourtant, l’instauration de NDA cadre, auxquels s’ajouteraient simplement des « one pagers » ou « data sheets » spécifiques aux projets, permettrait de poser une bonne fois pour toutes les conditions de confidentialité entre les parties. Ainsi, le cadre de confidentialité étant défini, les équipes projet et les opérationnels pourraient mettre en place librement des fiches projet liées à ce NDA cadre, sans passer par des cycles de négociation fastidieux. Cette approche permettrait non seulement de rationaliser les échanges, mais aussi de gagner en autonomie et en réactivité dans la gestion de projets. Une standardisation de cette nature apporte fluidité et clarté tout en garantissant la sécurité des informations échangées, pour des collaborations plus sereines et plus efficaces avec des partenaires de confiance.
Conclusion
En conclusion, le NDA n’est pas la solution universelle à tous les défis de confidentialité – c’est un outil, à utiliser avec discernement. L’essentiel est d’adopter un modèle simple et accepté, au moment opportun : ni trop tôt, ni trop tard, et surtout pas pour tout et n’importe quoi. La bonne gestion des NDA consiste à éviter la bureaucratie inutile et à se concentrer sur la vraie protection des informations stratégiques, en prenant soin de rationaliser les processus. Ainsi, on économise du temps, de l’argent… et souvent, quelques nerfs en cours de route !