Dans le domaine du contract management, et plus généralement pour tout acteur de projet complexe, il est essentiel de bien comprendre la notion et les contours du « claim ». Pour de nombreuses entreprises, particulièrement en France, le « claim » est souvent perçu comme un signe de défiance ou une déclaration de guerre. Cette perception négative de la notion engendre des tensions inutiles, complique la gestion des contrats et surtout élude les opportunités sous-jacentes au claim. À l’inverse, dans d’autres organisations plus avancées, notamment anglo-saxonnes, le claim n’est ni plus ni moins qu’un mécanisme contractuel à utiliser à bon escient. Cet article a ainsi pour objet de fournir quelques éclairages sur le claim, en commençant par rappeler des principes généraux (A), à évoquer les difficultés inhérentes au claim management (B) et enfin à donner quelques pistes et bonnes pratiques en la matière (C).
A. Principes généraux sur le claim
1. Définition du claim
Commençons cet article par la base : qu’est-ce qu’un claim ? En premier lieu, il convient de préciser que nous parlons ici de « claim contractuel », car ce mot aura un sens très différent dans d’autres domaines par exemple dans le marketing. Nous proposons d’initier la réflexion avec une approche littérale en nous penchant sur la définition du claim selon le Collins. Le fameux dictionnaire britannique nous indique que la traduction littérale du claim est : « revendication ou affirmation ». L’absence de mots dans le champ lexical du contentieux ou du judiciaire, nous donne ainsi un premier indice sur ce qu’est (et ce que n’est pas) un claim contractuel.
Ensuite, si l’on regarde du côté des définitions du claim contractuel, en prenant pour illustration le fameux FIDIC (voir notre article sur le sujet), on trouve cette définition du claim à l’Article 1.1.5: « désigne une demande ou une affirmation d’une partie à l’autre partie concernant un droit ou une exonération en vertu d’une clause des présentes conditions ou d’une autre manière, en rapport avec le contrat ou l’exécution des travaux ou découlant de ceux-ci ».
En somme, le croisement de différentes sources permet de définir le claim comme une réclamation adressée dans le cadre d’un contrat, portant principalement sur le prix ou les délais.
2. Différences entre claim et contentieux
Pour de trop nombreuses entreprises, notamment en France, le claim contractuel est souvent perçu comme un signe de défiance ou une déclaration de guerre. Cette vision négative crée des tensions inutiles et complique la gestion des contrats. Or, dans d’autres organisations, particulièrement celles des pays anglo-saxons plus avancées en matière de contract management, le claim est simplement considéré comme un mécanisme contractuel standard. Un processus qui vise à clarifier les termes du contrat et à s’assurer que les obligations de chaque partie sont respectées.
Distinguer clairement entre claim et contentieux est crucial : un claim est une demande légitime visant à ajuster ou interpréter des termes contractuels, tandis que le contentieux survient seulement lorsqu’un claim ne trouve pas de résolution consensuelle. Il est donc impératif de ne pas confondre ces deux notions pour éviter l’escalade inutile des conflits et favoriser une gestion contractuelle plus sereine et efficace.
Pour illustrer la différence entre claim et contentieux, on peut prendre pour exemple les éléments de language communiqués par la « DAU » (Defense Acquisition University), pour qui le claim est une « demande écrite ou une affirmation par l’une des parties visant : (i) au paiement d’une somme, (ii) à un ajustement ou à l’interprétation de termes du contrat, ou (iii) à tout autre mesure découlant du contrat ou s’y rapportant ». La DAU précise même par la suite que « un litige contractuel existe lorsqu’un claim n’est pas résolu après discussion préliminaire entre les représentants des parties contractantes ».
Bref, en somme, s’il y a une chose à retenir c’est qu’un claim n’est pas un litige, même s’il peut y mener.
3. Le claim, à quoi ça sert ?
Maintenant que nous avons introduit ce qu’est un claim et ses différences avec le contentieux, il est temps de se pencher sur la troisième question fondamentale de ce premier chapitre : à quoi sert un claim ? Sur ce point, il existe de nombreuses justifications à un claim, que ce soit pour notifier une déviation au contrat, un manquement, une malfaçon, pour réclamer le paiement de sommes en contrepartie de travaux supplémentaires, etc.
Notre point de vue chez Prime Conseil, c’est que le claim est, dans de nombreux secteurs, l’un des principaux leviers de profitabilité des projets. Nous ne sommes pas les seuls à partager ce point de vue, puisque selon McKinsey, dans l’industrie de la construction : « players make money from claims rather than from good delivery ». De là à dire que le claim management est une activité essentielle à la vie de tout projet complexe, il n’y a qu’un pas !
En toute hypothèse, il faut garder à l’esprit que le claim est un outil utile et indissociable du cycle de vie d’un contrat complexe. Préparer un claim ne relève pas d’un comportement belliqueux envers votre cocontractant, tout comme recevoir un claim n’est pas constitutif d’une déclaration de guerre.
Pensez donc au claim comme un levier important permettant une exécution saine et rentable d’un contrat et si vous êtes réticent(e), dites vous qu’il n’y a que peu de chances que votre cocontractant le soit également.
B. Principales difficultés liées aux claims
Après avoir expliqué les fondamentaux du claim contractuel, il est maintenant temps de révéler une triste vérité : la gestion des claims, c’est plutôt compliqué (ou à minima « pas si simple » pour celles et ceux qui voient le verre à moitié plein).
Différentes raisons expliquent en effet que le claim management soit encore dans l’hexagone une activité assez peu développée, générant de ce fait de nombreuses difficultés dans les contrats internationaux.
1. Conditions de forme et de recevabilité d’un claim
Parlons en premier lieu de la forme puisqu’il n’y a pas de figure imposée (sauf dans de très rares contrats dans lesquels on a pu voir des modèles en annexes). La structure et la forme d’un claim peuvent varier d’un projet à un autre, en fonction de sa nature, de l’objectif poursuivi, etc. Cependant, la plupart des claims sont rédigés suivant le déroulé suivant :
- Enoncé des faits : avec un rappel de ce qu’il s’est passé, le plus circonstancié possible, et des difficultés ou conséquences rencontrées.
- Rappels juridiques et contractuels : il s’agit ici de rappelé ce que prévoient les stipulations du contrat, ou plus généralement les obligations légales et règlementaires (par exemple en matière de données à caractère personnel, hygiène et sécurité, etc.)
- Lien de causalité ou responsabilité : établir le lien entre les faits et les conséquences, afin de démontrer que le destinataire du claim est bien (ne serait-ce que partiellement) responsable
- Impacts financiers et/ou calendaires : donner une estimation (plus ou moins détaillée selon ce que prévoit la procédure de claim dans le contrat) des coûts et/ou délais inhérents à cette situation.
La forme du document du document est, avec de la pratique, une difficulté relativement simple à appréhender. En revanche, les conditions de recevabilité d’un claim sont (trop) souvent méconnues ou oubliées, créant ipso facto une difficulté qui peut mener à un rejet pur et simple du claim. En effet, de nombreux contrats, notamment ceux basés sur des standards FIDIC, prévoient des conditions (notamment calendaires) précises de recevabilité d’un claim. Cette méconnaissance du contrat et des délais maximum pour soumettre un claim peut aboutir à un rejet pour forclusion.
Il est donc nécessaire de bien connaître ces modalités et conditions de recevabilité, idéalement de les schématiser et de les diffuser en interne pour ne pas passer à côté.
2. La difficulté à soigner le fond du claim
Une fois les conditions de recevabilité et de forme maîtrisées, on augmente encore le niveau de difficulté en s’attaquant aux conditions de fond.
En effet, un bon claim c’est un claim bien documenté et solide sur le fond, permettant de bien retracer, avec le moins d’ambiguïté possible, la séquence : fait générateur – dommage – lien de causalité. Or en pratique, il est rare que la situation soit claire et limpide, car un claim intervient souvent au beau milieu d’un projet, d’un essai, d’un chantier, d’une usine, etc. dans des conditions qui ne favorisent pas la prise de recul, l’analyse factuelle et rationnelle d’une situation. On se retrouvera souvent ainsi avec des engagements verbaux, des moyens de preuve contestables (notamment à l’ère de l’IA et des deepfakes), un récit inexact des évènements, le tout conjugué à un manque de temps et de ressources, et parfois à un soupçon de mauvaise foi ou de subjectivité inhérents aux rapports humains.
En somme, la soudaineté d’une situation ainsi que le fait que les principaux acteurs du claim, à minima lors de la survenance du fait générateur, soient très fréquemment des acteurs de terrain peu sensibilisés à la matière rend certaines activités telles que la traçabilité d’une chaîne de responsabilité ou encore l’obtention d’éléments probants très complexes en pratique. Le contract manager doit ainsi fréquemment faire preuve d’inventivité, de malice et surtout de persévérance pour reconstituer un historique fiable. Cette difficulté, conjuguée aux deadlines pour émettre un claim (cf. paragraphe 1 ci-dessus), ne permet pas toujours d’instruire des claims de qualité.
3. La culture d’entreprise
Troisième et dernier facteur (et non des moindres) rendant le claim management complexe: la culture d’entreprise ! Nous l’avons rapidement évoqué en introduction, les entreprises françaises et plus généralement de culture latine, ont une relation au contrat très différente de leurs homologues anglo-saxons.
Au sein d’une majorité d’entreprises, le contrat est l’affaire des juristes et le claim (associé à tort au contentieux) est à proscrire pour garder une bonne relation entre parties prenantes. Ce rapport au contrat ne favorise pas un traitement des claims de manière efficace et optimale, puisque les différents acteurs d’un projet ne se sentiront pas aussi impliqués, voire même auront une certaine défiance ou méfiance, lorsqu’il s’agira d’instruire un claim. A l’extrême inverse, au sein de ces entreprises à la culture contractuelle inégale, lorsqu’il sera décidé de préparer un claim, ces différents acteurs auront tendance à l’aborder de façon belliqueuse, plutôt que collaborative, rendant le sujet encore plus complexe qu’il ne l’est.
En somme, ces trois éléments constituent les principales difficultés que nous observons dans la rédaction et le traitement des claims. La bonne nouvelle est qu’avec un minimum de méthode, avec les bons outils et une formation adéquate, ces difficultés peuvent être surmontées afin de réellement utiliser le claim comme un levier de rentabilité.
C. Bonnes pratiques de claim management
En matière de contract management, et dans notre cas d’espèce de claim management, les bonnes pratiques sont légion, les modèles et templates pléthoriques, mais ils doivent avant tout être adaptés à une culture d’entreprise, à un secteur d’activité, voire même aux attentes et particularités du (des) cocontractant(s). Néanmoins, on peut dresser dans cette jungle d’outils, processus et méthodes trois grandes familles de grandes pratiques à adopter, que l’on soit un grand groupe de la construction, ou une PME sous-traitante dans l’électronique.
1. Adopter un processus et des outils de suivi
Il existe pléthores d’outils SaaS pour vous aider à faire de la gestion documentaire (GED), de l’administration de contrats (CLM) ou encore de gestion de chantiers de construction (BIM). Pour donner un exemple concret d’outils intéressant à mettre en place, nous pouvons mentionner notre partenaire Smartpreuve qui, grâce à son application, permet aux opérationnels de documenter des claims avec des moyens de preuve concrets, en quelques secondes depuis leur smartphone. Il s’agit ici d’un parfait exemple d’outil au service de l’humain, et au ROI immédiat en matière de claim management.
Cependant, chez Prime Conseil nous sommes adeptes du trio people-process-technology et vous recommandons de ne jamais négliger les PP (People & Process), en vous reposant sur un outil technologique censé vous changer la vie ! Clarifier le processus interne en matière de claim (qui ? quoi ? comment ? quand ?) et le formaliser, au sein d’un CMP (Contract Management Plan) ou à défaut au sein d’un PMP (Project Management Plan) permettra d’établir clairement ce processus afin de limiter au maximum les oublis et négligences. En sus, prévoir une sensibilisation (ou contract awareness) par le contract manager permettra de mobiliser toutes les équipes, plateau projet comme personnel de chantier, autour de l’enjeu que constitue le claim.
Enfin, l’insertion du claim management au coeur de l’exécution du contrat est une pratique que l’on voit trop peu, qui pourtant permet d’obtenir des résultats significatifs. En effet, de nombreuses réunions et évènements au cours de la vie d’un contrat permettent de détecter, parfois en anticipation, les situations de claim potentiel (réunions de projet, de visites de site, de suivi de la documentation du projet, rapports HSE, etc). Permettre au contract manager d’assister à ces évènements et accéder à ces documents est donc gage de qualité en matière de claim management.
2. Avoir une stratégie de claim
Pour aborder efficacement le management des claims, il est essentiel de ne pas adopter une approche belliqueuse. Aborder le claim « sabre au clair » risque de créer des tensions et d’aggraver la situation plutôt que de la résoudre. Il est primordial de réfléchir soigneusement, idéalement en réunissant différentes parties prenantes pour enrichir le débt, au message que vous souhaitez transmettre à travers le claim. Cette communication doit être claire, mesurée et cohérente avec la réalité des faits.
Il est crucial de mesurer les impacts potentiels d’un claim avant de le soumettre. Cela inclut non seulement les aspects financiers et temporels, mais aussi les répercussions sur la relation avec votre cocontractant. Un claim doit refléter une juste évaluation de la situation, en évitant toute exagération qui pourrait nuire à la crédibilité de votre démarche.
La cohérence entre le claim et la réalité est essentielle. Un claim doit toujours être basé sur des faits vérifiables et documentés. Pour maintenir cette cohérence, il est important de garder une objectivité rigoureuse dans l’analyse de la situation. Si à un moment, il apparaît que le claim n’est pas fondé, il est crucial d’avoir le courage de lever la main en interne pour le signaler. Disposer de processus internes facilitant cette remontée d’informations est indispensable pour éviter des claims infondés qui pourraient miner la confiance et la coopération entre les parties.
Dosage et pertinence sont également des éléments clés. Il est important de ne pas abuser du recours aux claims, afin de préserver leur impact et leur efficacité. Un usage excessif des claims peut en effet être perçu comme une agression constante, réduisant ainsi leur efficacité et ternissant les relations contractuelles. Varier les canaux de communication en fonction de la gravité des sujets est aussi une bonne pratique. Par exemple, un email peut suffire pour des ajustements mineurs, tandis qu’une réunion en face à face peut être plus appropriée pour des questions plus complexes ou sensibles.
En somme, avoir une stratégie de claim bien définie permet de naviguer sereinement à travers les aléas contractuels. Cela passe par une communication réfléchie, une évaluation précise des impacts, une objectivité sans faille et une utilisation mesurée des claims. En adoptant ces bonnes pratiques, les entreprises peuvent transformer les challenges contractuels en opportunités de renforcement de leurs relations et d’amélioration de leur performance globale.
3. Ne pas négliger le rédactionnel
Enfin, dernière bonne pratique qui peut sembler évidente mais soigner la qualité rédactionnelle joue un rôle crucial dans l’acceptation des claims. Il est impératif d’être synthétique et factuel afin de ne pas brouiller le message. Un claim bien rédigé doit aller droit au but, en énonçant clairement les faits et les demandes sans superflu. Une communication claire et concise permet d’éviter les malentendus et de faciliter la résolution des issues contractuelles.
En rédigeant un claim, il est également essentiel d’évacuer l’émotion et le subjectif. Les sentiments et opinions personnels n’ont pas leur place dans ce type de document. Un claim doit rester neutre et professionnel, basé uniquement sur des faits vérifiables. Cela aide à maintenir un ton respectueux et constructif, évitant ainsi d’exacerber les tensions. Être didactique est une autre bonne pratique essentielle. Le claim doit être compréhensible pour toutes les parties impliquées, même celles qui ne sont pas familières avec tous les aspects du contrat. Pour cela, il peut être utile de faire relire le document en interne, afin de s’assurer qu’il est clair et accessible. Des collègues qui n’ont pas été directement impliqués dans la situation peuvent apporter un regard neuf et identifier des ambiguïtés potentielles.
La rédaction d’un claim nécessite aussi une certaine dose de malice et d’habileté rédactionnelle. Il est crucial de bien connaître le contrat et ses clauses pour éviter de tomber dans le piège du « tout ce que vous direz pourra être utilisé contre vous ». Chaque affirmation doit être étayée par des preuves solides et chaque mot choisi avec soin pour éviter toute interprétation défavorable.Enfin, un bon claim doit démontrer une compréhension approfondie du contrat. Cela implique de citer précisément les clauses pertinentes et de montrer comment elles s’appliquent à la situation actuelle. Une telle rigueur renforce la crédibilité du claim et augmente les chances d’une résolution favorable.
En conclusion, la rédaction d’un claim est une tâche délicate qui requiert clarté, objectivité et précision. En étant synthétique, factuel et didactique, tout en faisant preuve d’habileté et de connaissance approfondie du contrat, vous pouvez rédiger des claims efficaces qui facilitent la résolution des différends et renforcent la gestion contractuelle globale.
Conclusion
En conclusion, la gestion des claims est une composante essentielle du contract management, permettant de clarifier et d’ajuster les termes contractuels pour une exécution optimale des projets. En France, il est crucial de changer la perception négative associée aux claims et de les considérer comme des outils légitimes de gestion contractuelle. En différenciant clairement les claims des contentieux, les entreprises peuvent éviter les conflits inutiles et améliorer la rentabilité de leurs projets. En adoptant des pratiques structurées et en sensibilisant les équipes aux enjeux du claim management, les organisations peuvent transformer ce processus en un levier de profitabilité et de réussite.