Quelles sont donc ces clauses de contrat qui font l’objet d’âpres négociations entre juristes, contract managers et autres acteurs de la négociation des contrats ? C’est le titre de la vaste enquête menée par le WCC et Icertis à laquelle quasi 1000 organisations ont répondu à travers le monde, en faisant l’une des enquêtes les plus complètes en matière de contract management.
A. Quels enseignements en tirer pour bien négocier ses contrats ?
Cette étude complète et très instructive met en lumière de nombreux concepts et informations. Parmi les nombreux take-aways que l’on peut tirer de cette étude, nous avons identifié ce qui suit :
Tout d’abord, que le podium des clauses les plus négociées, quelle que soit la taille des entreprises, demeure occupé par :
- les clauses de limitation de responsabilité (80%),
- celles relatives au prix (75%), ainsi que
- les sujets d’indemnisations (72%).
Ensuite, que le podium des clauses à l’origine des (pré)contentieux en phase d’exécution contractuelle est quant à lui constitué :
- du prix,
- du scope/specs, et
- de la livraison.
Enfin, que le podium des clauses les plus importantes aux yeux des négociateurs de contrats est quasi identique à celui des clauses à l’origine des (pré-contentieux), à savoir :
- le scope/specs,
- le prix, et
- la livraison.
Pourquoi nous avons choisi de mettre en avant ces trois podiums ? Tout simplement car l’asymétrie entre d’une part le temps consacré à la négociation de certaines clauses en amont (clauses les plus négociées), et d’autre part la pratique, à savoir celles qui font débat en cours d’exécution (clauses à l’origine des (pré)contentieux) permet de souligner l’importance de l’opération, du terrain.. mais aussi l’éloignement entre le travail des négociateurs et la réalité d’un projet !
Un autre chiffre clé extrait de cette étude permet d’illustrer cette asymétrie : le fait que seulement 16% des négociateurs de contrats estiment que la négociation se focalise sur les points réellement essentiels. Ce chiffre édifiant met en exergue l’importance du contract management pour les entreprises, et plus particulièrement dans son rôle de trait d’union entre directions juridiques et directions des opérations.
L’étude apporte également des insights intéressants en matière de contrats internationaux, avec des analyses comparatives des pratiques de négociation selon le système juridique utilisé par les répondants. On s’aperçoit ici que les négociateurs de contrats de droit anglais, américains ou encore français présentent une certaine homogénéité et ont des préoccupations très différentes des négociateurs de contrats de droit indien qui priorisent les liquidated damages ou encore les clauses d’acceptation, ou encore les négociateurs en droit islamique qui priorisent la limitation de responsabilité, les résolution de conflits ou encore le droit applicable.
B. Quels impacts sur la négociation de contrats et sur le métier de contract manager ?
Nous l’avons rapidement abordé dans le paragraphe précédent, cette étude souligne l’existence d’un décalage entre deux mondes : d’une part celui de la rédaction et négociation du contrat, et d’autre part celui de l’exécution du contrat. Le trait d’union ou la passerelle entre ces deux mondes doit ainsi être le contract manager. Chez Prime Conseil, nous voyons dans cette étude une formidable opportunité d’affirmer l’utilité et le leadership du contract management en entreprise.
En effet, à l’heure de la standardisation, de l’automatisation et à la lueur des progrès réalisés par les CLM en matière de Gen AI (voir notamment BirdsEye ou Gino LegalTech), le contract manager doit se (re)positionner dans la chaîne de valeur et apporter une expertise dans l’identification ce qui compte réellement dans la réussite d’un projet. Le contract manager doit savoir, durant les négociations, identifier, prioriser et privilégier les clauses qui contribuent à la profitabilité d’un projet en manoeuvrant astucieusement entre corporate rules et autres joyeusetés bureaucratiques.
Par ailleurs, à l’instar de l’activité de nos entreprises qui s’internationalisent, l’étude souligne les différences de comportement et de priorités de négociation parmi les contract managers, selon leur taille d’entreprise mais aussi la région du globe dans laquelle ils se situent. Cela renforce la nécessité pour les contract managers de se former en continu, de pratiquer et améliorer sa pratique de la langue anglaise, ainsi que de travailler l’agilité de sa pratique du contract management afin d’être en mesure de s’adapter à des pratiques différentes du contract management, que ce soit en raison de différences culturelles ou règlementaires.
C. Mobiliser ces insights pour construire le contract management de demain
Enfin, l’étude se conclut avec quelques insights qui invitent à la prise de recul, à la réflexion sur les pistes d’amélioration de nos pratiques du contract management. Chez Prime Conseil, nous retenons quatre piliers principaux :
i. La nécessaire hétérogénéité des équipes
Nous abordons fréquemment chez Prime Conseil le sujet des backgrounds, que ce soit dans des articles ou dans des interviews. Selon nous, l’efficacité des équipes hétérogènes, aux backgrounds et fonctions mixtes n’est plus à démontrer.
A toute étape du cycle de vie d’un contrat, la pratique d’un contract management qui se nourrit d’expertises plurielles est un must-have pour mieux cerner ce qui compte vraiment dans un contrat, identifier les risques et opportunités de façon pertinente, et créer de la valeur en prenant en compte une multitude de paramètres.
ii. L’indispensable alignement entre enjeux opérationnels et gestion du risque
Cette étude l’illustre une nouvelle fois : la gestion de risque prend (trop) souvent le pas sur l’opération à chaque étape du cycle de vie des contrats, et notamment sur la négociation. Cette aversion au risques, qui s’explique notamment par la prégnance des enjeux financiers (de surcroît dans des temps incertains) inhérents aux projets complexes, doit impérativement être nuancée, être challengée par la vie d’un projet, ses contraintes, ses enjeux et opportunités.
Le contract management est l’une des clés pour créer les conditions favorables à cet alignement, en démontrant une capacité à ingérer des données contractuelles et des données opérationnelles, pour en sortir une analyse de risques et opportunités pertinentes au regard des contraintes, objectifs et ambitions de la société.
iii. Adapter les contrats pour prendre en compte des conditions de marché fluctuantes
Depuis de nombreuses années, les projets subissent des aléas à répétition, qu’il s’agisse des fluctuations des taux d’intérêt, des changements dans les conditions et tarifs du transport maritime, ou encore des difficultés d’approvisionnement suite aux différents conflits, sans parler de la pandémie mondiale de COVID : ces évènements, que l’on appelle aléas, doivent aujourd’hui être considérés comme faisant partie du scénario nominal du déroulement d’un projet.
Les contract managers doivent ainsi prendre en compte, à chaque stade du cycle de vie d’un contrat, une probabilité d’occurence raisonnable pour la survenance d’un aléa quel qu’il soit. Ce relèvement du niveau de probabilité doit également s’accompagner d’une rédaction des contrats incluant des mécanismes favorisant la coopération, l’agilité, afin de faire face efficacement à ces aléas.
iv. Repenser les processus et modèles standard pour les adapter au contexte
Nous avons récemment rédigé un article qui explique pourquoi les modèles de contrats sont souvent une mauvaise idée. Cette étude illustre nos propos puisqu’elle met en avant les préoccupations et enjeux différents selon la taille, le pays ou encore le secteur d’activité des cocontractants.
S’ils demeurent des outils de travail intéressants, les templates, processus et autres corporate guidelines sont ainsi à manier avec précaution et à challenger au regard du contexte, du projet et du.des cocontractant.s. Aussi, plutôt que de vouloir tout formaliser, tout encadrer et codifier au sein des organisations, il est recommandé :
- de former et sensibiliser un maximum de parties prenantes au contract management ;
- de formaliser des bonnes pratiques, usages et processus permettant de fluidifier et clarifier des méthodes de travail ;
- de laisser de l’agilité (du « slack ») au contract manager peut permettre de gagner en temps et en efficacité dans la négociation, dans l’exécution et plus généralement à chaque étape du cycle de vie des contrats.