Nous l’avons lu, dit et répété : le “contract management” a le vent en poupe (on s’en réjouit) ! Toutefois, si les contours de la discipline se dessinent au sein du cercle d’initiés dont nous (et certainement vous) faisons partie, la réalité est que la majorité des prospects et interlocuteurs que nous rencontrons au sein d’organisations publiques comme privées ne sait pas vraiment en quoi consiste le contract management.
Alors oui, il existe des définitions. Tout d’abord celle donnée par Wikipédia pour qui le contract management désigne : « l‘ensemble des pratiques permettant de piloter efficacement un contrat tout au long de son cycle de vie : depuis sa négociation jusqu’à sa clôture« , ou encore la NCMA, organisation plus que respectable en matière de contract management, qui a récemment proposé une définition simple, dénuée de jargon, en définissant le contract management comme « une discipline qui crée de la valeur au travers de l’achat et de la vente, grâce à l’exécution de tâches conformes aux principes définis dans le contract management standard ». Nous avons à notre tour, chez Prime Conseil, essayé de contribuer à l’exercice avec un contract management défini comme une « discipline visant à optimiser chaque étape de la vie d’un contrat, afin d’en maximiser la valeur ».
La réalité, avec un peu d’autocritique, c’est que ces définitions sont incompréhensibles pour la plupart des juristes, acheteurs, chefs de projet et autres dirigeants. L’incompréhension ne réside pas dans la difficulté à comprendre ces définitions, mais plutôt à les rendre concrètes, à savoir à quoi sert concrètement un contract manager au quotidien.
Alors, au fond, c’est quoi le contract management ? Tentons au travers de cet article d’apporter quelques éléments concrets et compréhensibles pour le plus grand nombre.
a. Le contract management : plusieurs réalités derrière une même terminologie
Il n’est pas rare de voir le contract management confondu avec de l’administration de contrat, à du support juridique voire parfois à du PMO projet. Cette confusion témoigne de la richesse de notre discipline… mais entretient un certain flou.
Pour faire court, l’administration de contrat (dont les anglosaxons ont fait une discipline voisine appelée « contract administration ») s’attache avant tout à la gestion documentaire, au suivi des échéances et à la rédaction de courriers, comptes rendus et autres écrits contractuels du quotidien.
Le support juridique, effectué par un juriste et non par un contract manager (même si l’on voit fleurir les intitulés de « juriste-contract manager »), consiste comme son nom l’indique à fournir une expertise juridique pour rédiger des actes, interpréter des textes et plus généralement fournir du conseil juridique.
Enfin, le contract management fait le pont entre contrat et opérations pour s’assurer de l’anticipation (ou du traitement) des risques et opportunités à chaque étape de la vie du contrat, le tout sous un prisme opérationnel et financier plus que juridique ou administratif.
En résumé (et en prenant je l’admets quelques raccourcis), ces trois fonctions utilisent le contrat comme matière première mais :
- l’administrateur de contrat gère l’administratif (il intervient à chaque jalon administratif) ;
- le juriste gère les problématiques de conformité contractuelle aux lois et règlements applicables (il intervient ponctuellement à la demande) ;
- le contract manager gère la performance contractuelle (il intervient au quotidien sur le contrat)
Les éditeurs de CLM (logiciels de gestion de contrats) contribuent également à la confusion puisqu’ils appellent contract management ce qui relèvent en pratique de l’administration. Pour illustrer, voici selon un éditeur ce que sont les KPI essentiels du contract management :
On s’aperçoit que les « statuts de contrats », les « taux de renouvellement », les « volumes de clauses », etc. sont des indicateurs qui n’ont rien à voir avec le pilotage du contrat, mais plutôt son administration.
👉 Pour aller plus loin, vous pouvez consulter notre article dédié à la formation au contract management, qui aborde notamment la pluralité des profils du métier.
b. Le contract management : plus qu’une tendance, un mouvement de fond
Et si le contract management n’était qu’une tendance ? Après tout, la question est légitime. J’ai souvenir d’un vieil article paru sur le Village de la justice (il y a plus de 10 ans) qui s’intitulait : « le contract manager, le juriste de demain ? ». Au-delà d’un titre volontairement provocateur, il était déjà question d’un contract manager orienté business et opérations, et d’un juriste en charge de la conformité à la règle de droit.
Alors le contract manager est-il – à l’instar des « chief happiness officer » qui n’ont pas fait long feu – le nouveau métier à la mode ou est il voué à durer ? Au-delà d’une conviction, les chiffres sont là : entre une association professionnelle (l’AFCM) qui a fêté ses 10 ans et qui frôle les 500 adhérents, des offres d’emploi de plus en plus nombreuses (certaines études parlent de +30% en 2024 Vs. 2023), et une profession qui gagne de plus en plus de secteurs (défense, agroalimentaire, logistique, etc.), le contract management va durer !
L’essentiel, au delà de ces chiffres, c’est que ce développement du contract management traduit une réalité : autrefois considéré comme une étape (ou un mal.. selon les points de vue) nécessaire à la conduite des affaires, le contrat est désormais un levier de performance économique à part entière. C’est ce nouveau paradigme (poussé par les évènements géopolitiques, crise sanitaires, etc. de ces 10 dernières années) qui donne une place de choix au contrat, et par extension au contract management.
Le contract manager a ainsi vocation à contribuer au succès d’un projet en pilotant le contrat pour en extraire un maximum de valeur.
👉 Voir cet article pour approfondir le sujet du contract management et de la profitabilité des projets.
c. Le contract management : une discipline au croisement du droit, de la finance et de la gestion de projets
Le contract management est un métier d’interface, par essence transversal. Il se situe au carrefour de plusieurs disciplines et intègre des outils issus de chacune d’elles.
- Du droit, il emprunte les logiques de rédaction, d’analyse, de négociation, et de gestion des changements de périmètre et aléas.
- De la gestion de projet, il reprend les mécanismes de planification, de suivi d’avancement, de répartition des rôles et responsabilités (RACI), de gestion des jalons et des livrables.
- De la finance, il intègre les outils d’analyse de la valeur, de chiffrage du risque, et de pilotage budgétaire.
Ce caractère multidisciplinaire implique d’une part un socle de connaissance varié, une vision d’ensemble et un sens du relationnel aiguisé. Le contract manager devient alors un acteur clé de la coordination entre les différentes fonctions de l’entreprise. Il coordonne et anticipe au quotidien lorsque le juriste intervient en réaction sur demande, il a le contrat pour grille de lecture là où le chef de projet obéit à une logique coût/qualité/délai, il suit la performance tandis que l’acheteur en négocie les indicateurs.
Alors il faut reconnaître que le fait d’être une discipline d’interface ne facilite pas la compréhension des contours du contract management par les non-contract managers, à commencer par les dirigeants et décideurs. Il faut donc savoir adapter les bons éléments de langage, parler de son apport quotidien et concret au chef de projet, de sa contribution au P&L d’un projet au directeur des opérations ou au directeur général, ou de son intervention sur le suivi de performance pour rassurer un acheteur qui pourrait (à tort) voir le contract manager comme un futur concurrent.
d. Le contract management : trouver de la lumière dans les zones d’ombre
N’ayons pas peur des mots, le contract management est une discipline de l’ombre. Le contract manager prend sa place et assure satisfaction et ROI (retour sur investissement) en concentrant son action sur les zones d’inaction des autres parties prenantes. Pour illustrer ceci de façon concrète :
- les juristes sont très présents à quelques instants clés du contrat (rédaction et négociation du contrat initial, contentieux) mais le sont beaucoup moins une fois le contrat signé,
- les acheteurs négocient les contrats et assurent la relation fournisseurs, mais consacrent moins de temps à suivre la performance de ce qui a été signé
- les chefs de projet priorisent la satisfaction de leur client et le bon déroulement de leur projet, quitte à s’éloigner du contrat
- etc.
La zone de génie du contract manager se situe ainsi exactement dans les zones d’ombres des autres disciplines, d’où le fait qu’il s’agisse d’un métier d’interface. C’est dans ces conditions que le contract manager est complémentaire aux autres parties prenantes d’un projet et créé de la valeur.
👉 Nous développons cette logique d’intégration et de positionnement du contract manager dans notre article sur l’importance du contract management pour les entreprises.
Aussi, il est parfois plus simple d’expliquer concrètement le rôle et les missions du contract manager en pointant les absences d’un processus qui ne comprendrait pas de contract manager. Par exemple :
- Qui assure le suivi régulier des performances contractuelles de ce fournisseur ?
- Qui veille à ce que les modifications imposées par le client fassent bien l’objet de notifications dans les délais contractuels et soient bien valorisées et payées ?
- Quels délais de notification préalable sont à observer et quels documents sont à produire avant un jalon de réception ?
- Etc.
Il peut arriver que face à ces questions, des réponses génériques soient formulées (oui le chef de projet s’en charge). Dans ces cas là, demandez simplement à voir un exemple de suivi régulier, ou autre revue des risques et opportunités à jour : c’est (très) souvent à ce moment que votre interlocuteur fendra l’armure et comprendra réellement à ce qu’est et à quoi sert le contract management.
Conclusion
Le contract management est en train de mûrir, en s’imposant progressivement dans tous les secteurs d’activité, avec des contours qui varient selon les organisations. Et c’est justement là que réside la difficulté : sa transversalité rend sa compréhension inégale, surtout dans les structures qui n’ont pas encore structuré cette fonction, et au final freine parfois son développement et son adoption par des organisations qui se questionnent sur son utilité.
Selon nous, le moyen le plus efficace pour faire comprendre ce qu’est le contract management n’est pas d’en donner une énième définition générique, mais :
- de commencer par clarifier ce qu’il n’est pas (juridique, achats, gestion de projet…) ;
- puis de montrer, très concrètement, les lacunes organisationnelles que le contract manager couvre – ou pourrait couvrir – dans le contexte spécifique de l’entreprise de votre interlocuteur.
A défaut d’explication claire et très concrète, le risque est grand d’être confondu avec d’autres fonctions existantes… ou d’être cantonné à un rôle secondaire. C’est en étant concret et contextualisé que le contract management peut trouver toute sa légitimité.